Ce que tu ne liras jamais.

gr_284Bibu. Numérodeux. Numbertwo. Je t’écris ici ce que j’espère bien que tu ne liras jamais. Parce que d’ici là, ça fera longtemps que j’aurai surmonté ça, et jamais tu ne ressentiras cette période de doute.

J’ai du mal à t’appeler Bibu, car c’était le nom de ta sœur avant qu’on apprenne son sexe. Aucun de ces trois noms ne t’est personnel. Au début, je t’appelais Mini-Incruste. Ce n’était pas toi et ce n’était pas contre toi. C’était une façon de crier au monde que je n’étais pas tout à fait prête, que j’avais peur, que ce n’était pas fait exprès. Que je n’étais pas irresponsable, que j’aurais voulu aller travailler.

Maman m’a dit d’arrêter, et que ce serait un premier pas pour t’accepter. Elle avait raison. Jamais je n’ai voulu interrompre cette grossesse, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser « et si tu n’étais pas là, ou si je faisais une fausse couche, on pourrait faire les choses différemment, on ne serait pas obligés de s’écraser devant les chefs de Papaours, il serait en position de négocier. » Parce que je pourrais travailler. Je ne t’en veux pas et je t’en ai voulu quand même, un peu.

J’ai encore du mal à penser. Mais maintenant, quand je regarde mon ventre, je t’imagine en train de grandir, doucement, au chaud. Alors, en plus, tu n’as pas de chance niveau acceptation, parce que je n’aime pas être enceinte. Même si j’ai peu de désagréments physiques, comme pour ta sœur, je n’apprécie pas tellement ça. Comme pour ta sœur. Aujourd’hui, j’envie les femmes qui ont des « grossesses rayonnantes », avec des étoiles hormonales plein les yeux. Ça m’aiderait.

Pourtant, on veut que tu sois là, avec nous. Avec ta grande sœur, et ton petit frère ou ta petite sœur. Trois enfants, deux chats, une maison et un figuier. Et un poulailler. On t’imaginait déjà avec nous depuis le début. Mais pour le moment, je suis un peu perdue. Pour te dire, j’aimerais être chez ma maman, sentir l’odeur d’un plat de lasagnes qui cuit dans le four, être bien, avoir chaud à l’intérieur de moi. Alors je regarde mon ventre, et je t’imagine, bien, au chaud à l’intérieur de moi.